► "Le travail spécifique de lutte contre l’illettrisme doit être encore renforcé" – entretien de Thierry Lepaon dans le quotidien de la formation du 29 septembre 2016
Thierry Lepaon, chargé par Matignon de la préfiguration de l’Agence de la langue française pour la cohésion sociale, remettra son rapport final au Premier ministre le 30 octobre prochain. Il apporte, à travers nos questions, certains éléments de réflexion.
Quelles sont les grandes lignes de votre rapport d’étape transmis au Premier ministre le 15 septembre dernier ?
Nous sommes restés dans le strict cadre de la lettre de mission du Premier ministre nous demandant de prendre appui sur les structures existantes pour proposer les regroupements qui nous semblent cohérents. Nous avons travaillé pour que le Premier ministre puisse être en situation de faire les choix sur un sujet aussi éminemment politique mais dépassant totalement les temporalités politiques aussi bien que les régimes politiques. Nous sommes donc partis de ce qui nous semble être les grands enjeux d’une politique de la langue puis d’une analyse de l’existant pour proposer deux scénarios, l’un ambitieux, l’autre plus modeste. Nous avons aussi proposé des modalités de fonctionnement juridiques et budgétaires pour la future agence.
Par rapport à ce premier document, quels sont vos actuels axes de travail avant la remise de votre rapport définitif ?
Nous sommes encore très loin de l’opérationnel. Nous attendons les décisions. Nous ne savons pas encore quel sera le champ d’action de la nouvelle agence, son cadre juridique et ses moyens pour agir. Nous continuons à travailler les grands enjeux d’une politique de la langue française. Aujourd’hui comme demain, la recherche française, en particulier en linguistique, en sociolinguistique mais aussi dans beaucoup d’autres disciplines, doit être mobilisée et entendue afin d’éclairer d’éventuelles décisions de politiques publiques. Nous devons aussi écouter tous les acteurs d’une politique de la langue française. Je ne pense pas seulement aux acteurs que l’on peut qualifier d’institutionnels ; je pense à celles et ceux qui sont sur le terrain, dans le face à face pédagogique dans les associations et tous les organismes de formation.
L’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) sera-t-elle absorbée par cette nouvelle agence de la langue française et dans quelle mesure ?
Le mot « absorbé » est très impropre d’abord parce que le travail spécifique de lutte contre l’illettrisme doit être encore renforcé, parce que nous prenons appui sur les structures existantes et parce que, avant tout, dans l’immédiat, il est impératif de consolider juridiquement et financièrement la structure. Avec un service identifié au sein d’une nouvelle agence, une autonomie administrative, des crédits fléchés et « sanctuarisés » pour éviter tout risque de dilution, cela lui permettrait d’acquérir une plus grande capacité de pilotage stratégique à la lutte contre l’illettrisme dans notre pays.
Comment la nouvelle agence mènera-t-elle de front la lutte contre l’illettrisme et l’alphabétisation ?
Vous auriez pu ajouter, entre autres fronts, la problématique du français langue étrangère (FLE), l’accompagnement quelquefois nécessaire des salariés dans leurs parcours professionnels ou encore de beaucoup de nos concitoyens face aux mutations technologiques et aux nouveaux usages des technologies. Les fronts sont en effet nombreux parce que les situations sont extrêmement diverses. L’ingénierie de formation parle souvent de « publics ». Pourtant, l’action spécifique doit se situer dans un cadre plus général. L’État, avec différents ministères, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, des associations, des entreprises privées agissent dans un paysage particulièrement éclaté. Pourtant la simple addition des acteurs et des dispositifs provoque des ruptures de parcours pour les personnes, des zones d’ombre. Les actions spécifiques sont indispensables mais segmentent aussi. Il est nécessaire de coordonner, de mettre en réseau, en synergie. C’est pourtant encore très insuffisant pour faire sens et pour faire une politique. C’est donc ce défi que le pays tout entier doit relever.
Quel(s) type(s) d’articulation est prévu avec le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) ?
Nous ne connaissons pas le périmètre de la future agence et ses compétences. Je ne voudrais surtout pas anticiper. Cette question de l’articulation des différentes actions, de l’affectation des crédits des différents dispositifs, est posée depuis de nombreuses années, vous le savez. Elle reste d’actualité pour prendre en compte les besoins de territoires urbains et ruraux où trop souvent, pour nos concitoyens, la question de la maîtrise de la langue est, pour partie, à la fois une des causes et une des conséquences des difficultés spécifiques à ces territoires.